MARCEL PROUST

LES PLAISIRS ET LES JOURS

Illustrations de Madeleine Lemaire

Préface d'Anatole France

Et quatre pièces pour piano de Reynaldo Hahn

PARIS
CALMANN LÉVY, ÉDITEUR
3, RUE AUBER, 3
1896

Pourquoi m'a-t-il demandé d'offrir son livre aux espritscurieux? Et pourquoi lui ai-je promis de prendre ce soinfort agréable, mais bien inutile? Son livre est comme unjeune visage plein de charme rare et de grâce fine. Il serecommande tout seul, parle de lui-même et s'offre malgrélui.

Sans doute il est jeune. Il est jeune de la jeunesse del'auteur. Mais il est vieux de la vieillesse du monde. C'estle printemps des feuilles sur les rameaux antiques, dans laforêt séculaire. On dirait que les pousses nouvelles sontattristées du passé profond des bois et portent le deuil detant de printemps morts.

Le grave Hésiode a dit aux chevriers de l'Hélicon lesTravaux et les Jours. Il est plus mélancolique de dire ànos mondains et à nos mondaines les Plaisirs et les Jours,si, comme le prétend cet homme d'État anglais, la vie seraitsupportable sans les plaisirs. Aussi le livre de notre jeuneami a-t-il des sourires lassés, des attitudes de fatigue quine sont ni sans beauté, ni sans noblesse.

Sa tristesse même, on la trouvera plaisante et bienvariée, conduite comme elle est et soutenue par un merveilleuxesprit d'observation, par une intelligence souple,pénétrante et vraiment subtile. Ce calendrier des Plaisirset des Jours marque et les heures de la nature par d'harmonieuxtableaux du ciel, de la mer, des bois, et lesheures humaines par des portraits fidèles et des peinturesde genre, d'un fini merveilleux.

Marcel Proust se plaît également à décrire la splendeurdésolée du soleil couchant et les vanités agitées d'uneâme snob. Il excelle à conter les douleurs élégantes, lessouffrances artificielles, qui égalent pour le moins encruauté celles que la nature nous accorde avec une prodigalitématernelle. J'avoue que ces souffrances inventées,ces douleurs trouvées par génie humain, ces douleurs d'artme semblent infiniment intéressantes et précieuses, et jesais gré à Marcel Proust d'en avoir étudié et décrit quelquesexemplaires choisis.

Il nous attire, il nous retient dans une atmosphère deserre chaude, parmi des orchidées savantes qui ne nourrissentpas en terre leur étrange et maladive beauté. Soudain,dans l'air lourd et délicieux, passe une flèche lumineuse,un éclair qui, comme le rayon du docteur allemand,traverse les corps. D'un trait le poète a pénétré la penséesecrète, le désir inavoué.

C'est sa manière et son art. Il y montre une sûreté quisurprend en un si jeune archer. Il n'est pas du tout innocent.Mais il est si sincère et si vrai qu'il en devient naïfet plaît ainsi. Il y a en lui du Bernardin de Saint-Pierredépravé et du Pétrone ingénu.

Heureux livre que le sien! Il ira par la ville tout orné,tout parfumé des fleurs dont Madeleine Lemaire l'a jonchéde cette main divine qui répand les roses avec leur ros

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