EVENOR ET LEUCIPPE
LEGENDE ANTÉDILUVIENNE
PAR
GEORGE SAND
PARIS
COLLECTION HETZEL
MICHEL LÉVY FRÈRES, LIBRAIRES-ÉDITEURS
RUE VIVIENNE, 2 BIS
1861
Tous droits réservés.
PARIS.—IMPRIMERIE J. CLAYE, RUE SAINT-BENOIT, 7
En général, une préface est destinée à faireressortir, le plus modestement que l'on peut,les qualités du livre que l'on présente au lecteur.Il serait mieux entendu de lui en signaler tousles défauts; dûment averti, il en serait mieuxdisposé à l'indulgence.
Je vais essayer de cette méthode en disantqu'Evenor et Leucippe n'est ni une histoire, niun roman, ni un poëme proprement dit; que lelivre est peut-être fort prosaïque pour ceux quine voudraient y trouver qu'une fantaisie, ettrès-osé pour ceux qui le prendraient trop ausérieux. C'est comme le discours préliminaire,sous forme de récit, d'un ouvrage que j'avaisentrepris et auquel je n'ai pas tout à fait renoncé:ouvrage qui serait, à la fois, le romanet l'histoire de l'amour à travers tous les âges del'humanité. Par amour, je n'entendrais pas seulementl'attrait réciproque des sexes, mais tousles grands amours; et, pour commencer, leconte d'Evenor et Leucippe est tout aussi bien ledéveloppement du sentiment maternel que celuidu sentiment conjugal.
Voulant faire les choses en conscience, j'ai dûremonter à la manifestation du premier amourintellectuel dont les mythes anciens nous onttransmis la légende, et, trouvant que celled'Adam et Ève avait été surabondamment amplifiéeet commentée, j'ai choisi des types moinsarbitraires. Les motifs de ce choix, comme ceuxdes inductions romanesques auxquelles je mesuis abandonnée avec une complaisance que lelecteur ne partagera peut-être pas, on les trouveraà travers le livre, et c'est encore là un desdéfauts que je dois signaler à la critique pourfaciliter son travail, et au lecteur pour l'engagerà la patience.
George Sand.
Nohant, 25 août 1855.
LÉGENDE ANTÉDILUVIENNE
Au sein du puissant univers, la rencontre desnuées cométaires engendra un corps brûlant quiroula aussitôt dans les abîmes du ciel, obéissantaux lois qu'il y rencontra, lois éternelles, dont lesaccidents les plus formidables à nos yeux ne sontque les conséquences nécessaires d'un ordre préétabli,infini, éternel dans son ensemble.
La suprême loi de l'univers, c'est la vie. Le dispensateurinfatigable de cette vie sans repos etsans limites, c'est Dieu. Donner la vie est un acted'amour. Dieu est donc le foyer universel del'amour infini.
Ces dépôts, éléments ou débris de matière cosmiquequ'on appelle nébuleuses, comètes, astéroïdes,etc., sont comme la poussière créatrice desmondes. Le nôtre en est une condensation et unecombinaison quelconque. Leur approche épouvanteles hommes, et pourtant la vie est dans le sein deces foyers mystérieux répandus dans l'espace.
Ce monde, un des plus petits de ceux qui peuplentl'infini, vécut donc d'une vitalité brûlante,dès l'instant où il prit une marche régulière dansces champs de l'Éther où sa route venait de luiêtre imposée. Une masse de substances e