L'Illustration, No. 3667, 7 Juin 1913


(Agrandissement)

Ce numéro contient:

1º LA PETITE ILLUSTRATION, Série-Théâtre nº 10: Le Trouble-Fête, de M.Edmond Fleg, et La Gloire ambulancière, de M. Tristan Bernard;

Un Supplément économique et financier de deux pages.


NOTRE ALLIÉ ET NOTRE AMI LL. MM. Nicolas II, empereur de
Russie, et George V, roi de Grande-Bretagne et d'Irlande.

--Phot. ErnstSandow.--Voir l'article, page 525.



COURRIER DE PARIS

L'ADORABLE MOMENT

--Non, en vérité, je crois que je ne pourrais pas à la fin de mai, audébut de juin, être ailleurs qu'ici. Paris est, en ces jours qui nouséchappent si vite, une splendeur suave, ininterrompue. L'air et lalumière sont épris l'un de l'autre, se déclarent sans cesse, et sesurpassent en douceur autant qu'en vivacité. Le soleil sur les gazons develours, faits pour des pieds nus, pose des ombres mouvantes,palpitantes, qui semblent des reflets de respiration. Les troncs desarbres sont d'un noir ardent qui n'est pas triste, et les fleursbrillent, nouvellement peintes.

Dans le ciel est semée, répandue, une poudre de bonheur... Leshirondelles insensées, prenant les ailes à leur cou, volent si haut...si haut... qu'elles nous font monter. Pas longtemps, car en basl'existence est aimable et nous donne une récréation ravissante. Je nepeux pas vous dire tout ce que je vois du matin au soir qui m'amuse,m'enchante et me fait jouir, et à quoi passionnément je me délecte sanssonger à rien. Visions, impressions rapides, multiples, fugitives, quine durent que la courte éternité d'un regard, d'un ah! qui reste endedans!... Tout m'est plaisir. Tout me remplit d'aise. Les passants ontle pied léger et les voitures la roue caressante. Tout le monde a l'aird'aller, de courir, de se précipiter sans violence dans la mêmedirection, celle de la joie, et nul ne paraît tourmenté, comme si chacunétait sûr qu'il y aura des provisions de joie, et pour tous, qu'onarrivera toujours à temps pour en recevoir. Beaucoup de confiance. Unetranquillité absolue, sur les joues, dans les prunelles, dans les cours.La vie? Ah! belle, belle! Dieu? Si bon! Les hommes? Pas méchants, maisnon. Beaucoup moins en tout cas qu'on l'affirmait hier. Et voilà! On n'aplus peur.

*
* *

Ah! vivre! vivre!... Que c'est donc agréable et comme cela vous inonde!Se laisser vivre! Ne rien faire que vivre! Aimer vivre, désirer vivre!Et se coucher, s'étaler dans cette idée et dans ce mot. On ne se soucieque par minutes de vivre avec cette intensité profane, mais cesminutes-là dédommagent. Quelle entente exacte et merveilleuse alorsentre les hommes! Ne dirait-on pas que tout le monde se connaît? La viedevient comme une petite ville dont tous les habitants sefréquenteraient, se verraient. On ne se croise plus avec cettehostilité qui chasse et rejette d'habitude les gens loin les uns desautres. Non. Une sympathie réelle, frivole et tendre, envahit les traitsde chacun; et les masques de dédain, de mépris, d'indifférence ou defierté tombent pour une heure. Les yeux se cherchent, se visitent, dansl'échange d'un réciproque éclair. L

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