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PAUL MARGUERITTE
DE L’ACADÉMIE GONCOURT

Tante Million

PARIS
ERNEST FLAMMARION, ÉDITEUR
26, RUE RACINE, 26

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservéspour tous les pays.

Droits de traduction, d’adaptation et de reproductionréservés pour tous les pays.
Copyright 1925, by Ernest Flammarion.

Tante Million

I
LE LUNCH ORAGEUX

A cinq heures, après sa promenade au Bois,dans sa molle victoria, au trot cadencé des alezans,Mme Arsène Goulart recevait. Le tableau de lasemaine était invariable. Lundi, les dames patronnessesde l’Œuvre de l’Œuf à la coque, dontelle était la présidente d’honneur : petit salon.Mardi, grand salon : des vieux messieurs dediverses académies, des jeunes gens mûrs écrivantdans des revues graves, tenaient de doctespropos dont elle recueillait le bienfait sous formed’un discret assoupissement que l’on feignaitde ne pas remarquer.

Le mercredi, elle recevait son médecin dansson boudoir et l’accablait du récit de maux imaginairesou réels. Jeudi, grand nettoyage des bibelots :des gants sales aux mains, elle astiquaitelle-même les objets d’argent les plus précieuxde ses vitrines. Vendredi, repos à la chambre,examen des comptes et migraine. Samedi, jourdes parents riches ; et dimanche, jour des parentspauvres.

Seuls, la maladie ou l’accident dérangeaientl’orbe de ces habitudes, que sa volonté impérieusedictait, et qu’appliquait, avec une régularitéd’automate, le personnel domestique, depuisMlle Zoé Lacave, dame de compagnie, jusqu’aupetit groom, Alfred.

Aujourd’hui, l’hôtel de l’avenue Kléber somnoledans la touffeur du calorifère : un silencequasi religieux baigne l’escalier blanc à tapispourpre, l’antichambre, sur les banquettes de laquelleles deux valets de pied, en livrée bleu deroi et mollets de soie, se figent, tels des mannequinsde cire. Nul coup de timbre ne partira dela loge pour annoncer des importuns. Sur laconvalescence de Mme Goulart, au sortir d’unegrippe infectieuse, une consigne inflexibleveille.

Dans la chambre à coucher spacieuse — tapisseriesroyales et meubles de musée — au crépusculeassombri qu’éclaire le reflet des braises d’unemonumentale cheminée, Mlle Zoé Lacave, vêtue degris sombre, range sans bruit des papiers etpasse et repasse devant les vitrines comme unegrande chauve-souris. On n’entend que le soufflegras de la dormeuse.

Soupirs, bâillements. Mlle Zoé, sur la pointe dupied, s’approche. Une voix forte lui ordonned’allumer.

Au-dessus du divan, une grappe de raisin encristal tamise une clarté douce.

Accotée sur un tas de petits coussins, unefourrure de vison sur les genoux, semblable àune idole monstrueuse, Mme Goulart réclame lelunch.

Correct comme un diplomate de la grandeécole, sous sa couronne de cheveux blancs, levieux maître d’hôtel apporte sur un plateau dessandwiches au gruyère, des barquettes de foiegras, des petits pâtés chauds, des toasts, du chocolatmousseux, du jus d’ananas.

Au mépris des recommandations du médecin,Mme Goulart se sert d’abondance. Zoé Lacave hasardeune timide remontrance et s’attire un brutal :

— La paix, hein !

Mme Goulart boit et mange. Il semble que lamasse de son visage s’épaississe et que l’énormitéde son corps s’accroisse. Elle a un nez

...

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