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LE RÊVE

ET LA VIE

LES FILLES DU FEU

LA BOHÈME GALANTE

PAR

GÉRARD DE NERVAL

PARIS
MICHEL LÉVY FRÈRES, LIBRAIRES ÉDITEURS
RUE VIVIENNE, 2 BIS, ET BOULEVARD DES ITALIENS, 15
A LA LIBRAIRIE NOUVELLE
1868

[p. 1]

LES FILLES DU FEU


AURÉLIA

PREMIÈRE PARTIE

I

Le rêve est une seconde vie. Je n'ai pu percer sans frémir ces portesd'ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible. Les premiersinstants du sommeil sont l'image de la mort; un engourdissementnébuleux saisit notre pensée, et nous ne pouvons déterminer l'instantprécis où le moi, sous une autre forme, continue l'œuvre del'existence. C'est un souterrain vague qui s'éclaire peu à peu, etoù se dégagent de l'ombre et de la nuit les pâles figures gravementimmobiles qui habitent le séjour des limbes. Puis le tableau se forme,une clarté nouvelle illumine et fait jouer ces apparitions bizarres; lemonde des Esprits s'ouvre pour nous.

Swedenborg appelait ces visions Memorabilia; il les devait à larêverie plus souvent qu'au sommeil; l'Ane d'or, d'Apulée, la DivineComédie, du Dante, sont les modèles poétiques de ces études de l'âmehumaine. Je vais essayer, à leur exemple, de transcrire les impressionsd'une longue maladie qui s'est[p. 2] passée tout entière dans les mystèresde mon esprit;—et je ne sais pourquoi je me sers de ce terme maladie,car jamais, quant à ce qui est de moi-même, je ne me suis senti mieuxportant. Parfois, je croyais ma force et mon activité doublées; il mesemblait tout savoir, tout comprendre; l'imagination m'apportait desdélices infinies. En recouvrant ce que les hommes appellent la raison,faudra-t-il regretter de les avoir perdues?...

Cette vita nuova a eu pour moi deux phases. Voici les notes qui serapportent à la première.—Une dame que j'avais aimée longtemps et quej'appellerai du nom d'Aurélia, était perdue pour moi. Peu importentles circonstances de cet événement, qui devait avoir une si grandeinfluence sur ma vie. Chacun peut chercher dans ses souvenirs l'émotionla plus navrante, le coup le plus terrible frappé sur l'âme par ledestin; il faut alors se résoudre à mourir ou à vivre:—je dirai plustard pourquoi je n'ai pas choisi la mort. Condamné par celle quej'aimais, coupable d'une faute dont je n'espérais plus le pardon, ilne me restait qu'à me jeter dans les enivrements vulgaires; j'affectaila joie et l'insouciance, je courus le monde, follement épris de lavariété et du caprice; j'aimais surtout les costumes et les mœursbizarres des populations lointaines, il me semblait que je déplaçaisainsi les conditions du bien et du mal; les termes, pour ainsi dire,de ce qui est sentiment pour nous autres Français. «Quelle folie,me disais-je, d'aimer ainsi d'un amour platonique une femme qui nevous aime plus! Ceci est la faute de mes lectures; j'ai pris ausérieux les inventions des poëtes, et je me suis fait une Laure ou uneBéatrix d'une personne ordinaire de notre siècle... Passons à d'autresintrigues, et celle-là sera vite oubliée.» L'étourdissement d'un joyeuxcarnaval dans une ville d'Italie chassa toutes mes idées mélancoliques.J'étais si heureux du soulagement que j'éprouvais, que je faisais partde ma joie à tous mes amis, et, dans mes lettres, je leur donnaispour l'état constant de mon esprit ce qui n'était que surexcitationfiévreuse.

[p. 3]

Un j

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