EDMOND ABOUT

LE TURCO

Le bal des artistes — Le poivre
L’ouverture au château — Tout Paris — La chambre d’ami
Chasse allemande — L’inspection générale
Les cinq perles

DEUXIÈME ÉDITION

PARIS
LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET Cie
BOULEVARD SAINT-GERMAIN, No 77

1867
Tous droits réservés

IMPRIMERIE GÉNÉRALE DE CH. LAHURE
Rue de Fleurus, 9, à Paris

A MONSIEUR THÉODORE JUNG
Capitaine d’état-major

Témoignage de reconnaissance et d’amitié.

E. A.

LE TURCO.

Ce que vous allez lire est une histoire ducafé d’Orsay.

Hier soir à cinq heures, le gabion était farci.Le gabion, afin qu’on n’en ignore, est unesalle du rez-de-chaussée où nous prenons l’absintheentre nous. Nous étions une vingtained’officiers ; l’artillerie dominait, l’état-majorétait représenté par le grand capitaine Brunner ;il y avait passablement de cavalerie et unpeu de ce que nous appelons (toujours entrenous) « le génie bienfaisant. »

Gougeon, des guides, racontait le dernierconcert des Tuileries et se montait insensiblementla tête pour Mlle Nillson, lorsque Brunnerlui coupa la parole au ras de la moustache parun formidable éclat de rire. Tout le mondeouvrit l’œil, et Gougeon, qui n’est pas commode,devint pâle comme un mouchoir.

« Pardon, Brunner ! dit-il en se soulevant àdemi ; je ne savais pas être si drôle que ça ! »

Brunner interpellé fit le geste naïf d’un dormeurqu’on éveille. Le guide reprit sa phraseen haussant le ton, mais il ne l’acheva point.Il avait rencontré le regard de Brunner et saisi,pour ainsi dire au vol, une de ces émotionsprofondes et navrantes qui font tomber notrecolère à nos pieds.

« Cher ami, dit le capitaine, c’est à moi devous demander pardon. Tout en vous écoutant,je promenais mes yeux sur la gazette, et j’y airencontré une nouvelle,… une de ces nouvellesdont il faut se hâter de rire pour éviter… voussavez quoi. »

Il n’avait rien évité du tout, le pauvre garçon.Sa voix faiblit, ses yeux se troublèrent :il me passa le journal en indiquant du doigtl’entre-filets qu’il ne pouvait nous lire ; maisnul de nous ne trouva le mot pour rire, oupour pleurer, dans cette annonce écrite en stylepommadé, comme toutes les réclames de highlife.

« Un illustre et double hyménée réunira demaindevant l’autel aristocratique de *** le concoursle plus brillant et le plus distingué, lechoix du choix. Mme la comtesse de Gardeluxépouse en secondes noces M. le vicomte de Chavigny-Senlis,et le même jour, à la mêmeheure, Mlle Auguste-Hélène de Gardelux doitdonner sa main au jeune et riche marquisde Forcepont. Il n’est pas surprenant que lanaissance s’allie à la naissance, la fortune à lafortune, la beauté et la vertu à la bravoure età l’élégance ; le merveilleux, ou, pour parlercorrectement, le miraculeux de cette cérémonie,c’est la beauté presque jumelle des deuxnobles épousées : un profane introduit dans lanef croira voir le mariage de deux sœurs. »

J’avais déposé le journal, et je buvais unverre d’eau pour faire passer le goût de cetteprose. Brunner se mordait la moustache et suivaitles veines du marbre en cherchant à renfoncerses larmes. Les assistants se regardaientsans rien dire, trop discrets pour demander uncommentaire, mais incapables de saisir aucunrapport entre l’émotion

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