LE BANIAN,

Roman Maritime,

PAR
ÉDOUARD CORBIÈRE.

TOME SECOND.

BRUXELLES.
J. P. MELINE, LIBRAIRE-ÉDITEUR.

1836

Imprimerie de J. Stienon.

XVI

Un seul officier, chargé de veiller à lamanœuvre, reste immobile sur le pont, unœil fixé sur le compas qu'il observe près dutimonier, et l'autre œil errant sur les voilesdont il épie le battement et le FASEYAGE; carc'est encore un des secrets du métier que cetteespèce de dualité d'organes et cette doublefaculté de perceptions, que les marins exercentavec un seul sens.

(Page 10.)

Discipline du bord;—délibération en mer;—le navirepseudonyme.

Les premières ombres du couchant descendaientlentement sur les flots ranimés par labrise du soir, quand le corsaire l'Oiseau-de-Nuit,appareilla de la rade de Saint-Pierre.

Tout autre bâtiment aurait peut-être attendule jour pour exécuter plus sûrement la manœuvreassez confuse de l'appareillage; mais ce n'étaitpas pour lui qu'étaient faites ces précautionsvulgaires. La lune d'ailleurs cachant à moitiéson globe ascendant, derrière les mornes silencieuxde l'île, ne venait-elle pas déjà blanchir,sur la tête de l'équipage, la surface arrondiedes voiles hautes que le corsaire avait livréesaux fraîches risées du soir! C'est à la lueur desétoiles scintillantes, c'est à la clarté de l'astredes nuits, que le capitaine Invisible aimait ànaviguer.

A l'activité un peu bruyante de cette manœuvrenocturne, succéda bientôt le calme le plusprofond, à bord du mystérieux navire; et quandil laissa arriver après avoir tracé un cerclerapide autour des terres qu'il allait quitter, oneût dit un bâtiment fantastique gouverné, manœuvrésur les eaux soumises, par des êtresmuets, impalpables, et voltigeant dans cet airpaisible que ne troublaient ni le son d'une seulevoix, ni le bruit d'aucune manœuvre, ni lemurmure même des vagues clapotantes.

Un seul homme se promenait sur le gaillardd'arrière, près du timonier attaché presqueimmobile à la roue du gouvernail.

A la fin de chaque heure du quart, l'officierde service, après avoir jeté le lock, venait direà cet homme, d'une voix respectueuse et brève:

«Commandant, votre navire file huit nœuds,file dix nœuds,» selon que la vitesse du brickavait augmenté ou diminué depuis le momentdu départ.

Le commandant, en continuant sa promenade,ne répondait à l'officier que par un légersigne de tête qui signifiait: C'est bon!

Et l'officier retournait alors devant, se mêleraux groupes des hommes de quart, qui n'osaientinterrompre, par le bruit de leurs conversationsparticulières, le silence que leur prescrivait laprésence de leur chef suprême sur le pont dubâtiment.

Quelles idées devaient inspirer à notre Baniansi nouvellement jeté à bord de l'Oiseau-de-Nuit,le spectacle de cette discipline muette,la vue de ces vingts canons faisant, à chaquepetit coup de roulis, briller leurs platines decuivre aux rayons de la lune, à la lueur vacillantedu feu de l'habitacle!

Et cet homme surtout qui, environné de tantde soumission et de dévouement discret, sepromenait seul sur le gaillard, sans daignerjeter un mot, adresser un signe à tous ces officiers,à tous ces matelots rassemblés, loin delui, dans l'attitude de la crainte et du

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