DE LA
DÉMOCRATIE
EN AMÉRIQUE.
PARIS.—IMPRIMERIE CLAYE ET TAILLEFER
RUE SAINT-BENOÎT, 7.
DE LA
DÉMOCRATIE
EN AMÉRIQUE
CINQUIÈME ÉDITION
REVUE, CORRIGÉE
et augmentée d'un Avertissement et d'un Examen comparatif de laDémocratie
aux États-Unis et en Suisse.
TOME QUATRIÈME.
PARIS
PAGNERRE, ÉDITEUR
RUE DE SEINE, 14 BIS.
1848
(p. 001) DE LA
DÉMOCRATIE
EN AMÉRIQUE.
TROISIÈME PARTIE.
INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE SUR LES MŒURS PROPREMENT DITES.
CHAPITRE I.
Comment les mœurs s'adoucissent à mesure que les conditions s'égalisent.
Nous apercevons, depuis plusieurs siècles, que les conditionss'égalisent, et nous découvrons en même temps que les mœurss'adoucissent. Ces deux choses sont-elles seulement contemporaines,ou existe-t-il entre elles quelque lien secret, de telle (p. 002)sorte que l'une ne puisse avancer sans faire marcher l'autre?
Il y a plusieurs causes qui peuvent concourir à rendre les mœursd'un peuple moins rudes; mais, parmi toutes ces causes, la pluspuissante me paraît être l'égalité des conditions. L'égalité desconditions et l'adoucissement des mœurs ne sont donc passeulement à mes yeux des événements contemporains, ce sont encoredes faits corrélatifs.
Lorsque les fabulistes veulent nous intéresser aux actions desanimaux, ils donnent à ceux-ci des idées et des passions humaines.Ainsi font les poètes quand ils parlent des génies et des anges. Iln'y a point de si profondes misères, ni de félicités si pures quipuissent arrêter notre esprit et saisir notre cœur, si on ne nousreprésente à nous-mêmes sous d'autres traits.
Ceci s'applique fort bien au sujet qui nous occupe présentement.
Lorsque tous les hommes sont rangés d'une manière irrévocable,suivant leur profession, leurs biens et leur naissance, au seind'une société aristocratique, les membres de chaque classe seconsidérant tous comme enfants de la même famille, éprouvent les unspour les autres une sympathie continuelle et active qui ne peutjamais se rencontrer au même degré parmi les citoyens d'unedémocratie.
(p. 003) Mais il n'en est pas de même des différentes classesvis-à-vis les unes des autres.
Chez un peuple aristocratique chaque caste a ses opinions, sessentiments, ses droits, ses mœurs, son existence à part. Ainsiles hommes qui la composent ne ressemblent point à tous les autres;ils n'ont point la même manière de penser ni de sentir, et c'est àpeine s'ils croient faire partie de la même humanité.
Ils ne sauraient donc bien comprendre ce que les autres éprouvent,ni juger ceux-ci par eux-mêmes.
On les voit quelquefois pourtant se prêter avec ardeur un mutuelsecours; mais cela n'est pas contraire à ce qui précède.
Ces mêmes institutions aristocratiques, qui avaient rendu sidifférents les êtres d'une même espèce, les avaient cependant unisles uns aux autres par un lien politique fort étroit.
Quoique le serf ne s'intéressât pas naturellement au sort desnobles, il ne s'en croyait pas moins obligé de se dévouer pour celuid'entre eux qui était son chef; et, bien que le noble se crût d'