VOYAGE EN ORIENT

PAR

GÉRARD DE NERVAL


I

LES FEMMES DU CAIRE—DRUSES ET MARONITES

SEULE ÉDITION COMPLÈTE


PARIS
CALMANN LÉVY, ÉDITEUR
ANCIENNE MAISON MICHEL LÉVY FRÈRES
3, RUE AUBER, 3
1884
(ŒUVRES COMPLÈTES DE GÉRARD DE NERVAL II)

Table des matières

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VOYAGE EN ORIENT


INTRODUCTION

A UN AMI


I—L'ARCHIPEL

Nous avions quitté Malte depuis deux jours, et aucune terre nouvellen'apparaissait à l'horizon. Des colombes—venues peut-être du montÉryx—avaient pris passage avec nous pour Cythère ou pour Chypre, etreposaient, la nuit, sur les vergues et dans les hunes.

Le temps était beau, la mer calme, et l'on nous avait promis qu'aumatin du troisième jour, nous pourrions apercevoir les côtes de Morée.Faut-il l'avouer? l'aspect de ces îles, réduites à leurs seuls rochers,dépouillées par des vents terribles du peu de terre sablonneuse quileur restât depuis des siècles, ne répond guère à l'idée que j'en avaisencore hier en m'éveillant. Pourtant, j'étais sur le pont dès cinqheures, cherchant la terre absente, épiant, à quelque bord de cetteroue d'un bleu sombre que tracent les eaux sous la coupole azurée duciel, attendant la vue du Taygète lointain comme l'apparition d'un[p. 2]dieu. L'horizon était obscur encore; mais l'étoile du matin rayonnaitd'un feu clair dont la mer était sillonnée. Les roues du navirechassaient l'écume éclatante, qui laissait bien loin derrière nous salongue traînée de phosphore. «Au delà de cette mer, disait Corinneen se tournant vers l'Adriatique, il y a la Grèce.... Cette idée nesuffit-elle pas pour émouvoir?» Et moi, plus heureux qu'elle, plusheureux que Winckelmann, qui la rêva toute sa vie, et que le moderneAnacréon, qui voudrait y mourir,—j'allais la voir enfin, lumineuse,sortir des eaux avec le soleil!

Je l'ai vue ainsi, je l'ai vue, ma journée a commencé comme un chantd'Homère! C'était vraiment l'Aurore aux doigts de rose qui m'ouvraitles portes de l'Orient! Et ne parlons plus des aurores de nos pays, ladéesse ne va pas si loin. Ce que nous autres barbares appelons l'aubeou le point du jour, n'est qu'un pâle reflet, terni par l'atmosphèreimpure de nos climats déshérités. Voyez déjà, de cette ligne ardentequi s'élargit sur le cercle des eaux, partir des rayons roses épanouisen gerbe, et ravivant l'azur de l'air qui plus haut reste sombreencore. Ne dirait-on pas que le front d'une déesse et ses bras étendussoulèvent peu à peu le voile des nuits étincelant d'étoiles? Ellevient, elle approche, elle glisse amoureusement sur les flots divinsqui ont donné le jour à Cythérée.... Mais que dis-je! devant nous,là-bas, à l'horizon, cette côte vermeille, ces collines empourprées quisemblent des nuages, c'est l'île même de Vénus, c'est l'antique Cythèreaux rochers de porphyre: Κυθήρη πορφυροῦσσα.... Aujourd'hui, cette îles'appelle Cérigo, et appartient aux Anglais.

Voilà mon rêve ... et voici mon réveil! Le ciel et la mer sont toujourslà; le ciel d'Orient, la mer d'Ionie se donnent chaque matin le saintbaiser d'amour; mais la terre est morte, morte sous la main de l'homme,et les dieux se sont envolés!

«Je t'apprendrai la vérité sur les oracles de Delphes et de Claros,disait Apollon à son prêtre. Autrefois, il sortit du sein de la terreet des bois une infinité d'oracles et des exhalaisons...

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