L'ILLUSTRATION
Prix du Numéro: 75 cent.
SAMEDI 11 AVRIL 1891
49e Année.--N° 2511
LA LOY DE LYNCH AUX ÉTATS-UNIS.--Massacre de détenus italiens
dans laprison de la Nouvelle-Orléans.
e suppose un étranger, un Anglais, Australien, ou Tonkinois, n'ayantjamais vu Paris, et débarquant pour la première fois sur nos boulevards.Il lit tout d'abord les affiches. L'affiche moderne c'est le programmede la vie courante. Il déchiffre des inscriptions comme celles-ci:
--Les écumeurs de la Presse!
--Les filouteries de... tel journal!
--Beware of pickpockets!
--Les Mystères de... telle rédaction!
--Mon Dieu, se dit-il, en quel pays suis-je tombé, et quels sont cesgens qui se disputent ainsi?
Et le premier passant qu'il interroge lui répond:
--Mais, monsieur, ce sont des journalistes qui font de la polémique!
Elle continue, cette polémique, sur les voitures-annonces que traînentdes coolies parisiens. Le pousse-pousse sert à ces batailles. Laprovocation se fait ambulante, et de pacifiques traîneurs promènent àtravers la ville les mêmes épithètes agressives:
--Flibustiers!
--Maîtres-chanteurs!
--Professeurs d'escroquerie!
L'algonquin, l'iroquois ou le tonkinois en question est un peuabasourdi. Quoi! c'est là cet aimable Paris dont on lui avait parlé toutlà-bas? Il hoche la tête, regarde sa malle à peine défaite, la refait etmurmure à part soi:
--Bah! c'est partout la même chose. Je retourne chez les Hurons!
Donc, pendant que la presse prend envers elle-même des libertés quifiniront par mettre sa liberté en péril, la vie continue et, par la vie,il faut entendre la mort. Ce dernier mot est celui qui semblait le moinsfait de tous pour le robuste Normand disparu la semaine passée.Pouyer-Quertier! Ou plutôt Monsieur Pouyer-Quertier!
Toute une race, toute une classe! Le type du bourgeois puissant, dugrand bourgeois industriel français, et le type aussi du gars normandsolide et superbe. Des cheveux roux, de fortes mains, de larges épaules,des favoris britanniques, un rire de buveur de cidre. On sait qu'il tinttête à M. de Bismarck lors des conférences du traité de Francfort. LeTeuton voulait stupéfier le Français. Il buvait, tout en causant, devastes chopes de bière.
--Moi, disait Pouyer-Quertier, j'aime bien la bière, mais il me faut del'eau-de-vie dedans!
Et, cette fois, M. de Bismarck admirait, ayant trouvé son maître. Lesentimental Jules Favre ne devait savoir à quelle palabre se vouer,entre ces deux mâles, ces deux forces, ces deux colosses.
Ce fut une sorte de roi en son pays que Pouyer-Quertier, mais lecontraire du paresseux roi d'Yvetot. Il brassa, mania, gagna et dépensades millions. On me dit que ses dernières années furent tristes. Il sesentait comme détrôné. Qu'importe! Il devait savoir qu'il laisserait unnom, un souvenir une figure! Son verre de franc Normand a humilié levidrecome germanique. C'est une mince revanche, mais c'est une revanche,et ce bourgeois de Normandie fut un bon Français et fut un homme.
Mais que dit-on à Paris? On y hume déjà, malgré la pluie, les premièresodeurs du printemps. Les bourgeons se montrent, timides d'abord, puisplus confiants. Et une