(Publié dans une autre édition
sous le titre de "EMMA LYONNA" Tome IV)
PARIS CALMANN LÉVY, ÉDITEUR
ANCIENNE MAISON MICHEL LÉVY FRÈRES
RUE AUBER, 3, ET BOULEVARD DES ITALIENS, 15
A LA LIBRAIRIE NOUVELLE
Sans doute, des ordres avaient été donnés d'avancepour que ces trois coups de canon fussent undouble signal.
Car à peine le grondement du dernier se futéteint, que les deux prisonniers du Château-Neuf,qui avaient été condamnés la surveille, entendirent,dans le corridor qui conduisait à leur cachot, les paspressés d'une troupe d'hommes armés.
Sans dire une parole, ils se jetèrent dans les brasl'un de l'autre, comprenant que leur dernière heureétait arrivée.
Ceux qui ouvrirent la porte les trouvèrent embrassés,mais résignés et souriants.
--Êtes-vous prêts, citoyens? demanda l'officierqui commandait l'escorte, et à qui les plus grandségards avaient été recommandés pour les condamnés.Tous deux répondirent: «Oui,» en mêmetemps, André avec la voix, Simon par un signe detête.
--Alors, suivez-nous, dit l'officier.
Les deux condamnés jetèrent sur leur prison cedernier regard que jette, mêlé de regrets et de tendresse,sur son cachot celui que l'on conduit à lamort, et, par ce besoin qu'a l'homme de laisserquelque chose après lui, André, avec un clou, gravasur la muraille son nom et celui de son père.
Les deux noms furent gravés au-dessus du lit dechacun.
Puis il suivit les soldats, au milieu desquels sonpère était déjà allé prendre place.
Une femme vêtue de noir les attendait dans la courqu'ils avaient à traverser. Elle s'avança d'un pasferme au-devant d'eux; André jeta un cri et toutson corps trembla.
--La chevalière San-Felice! s'écria-t-il.
Luisa s'agenouilla.
--Pourquoi à genoux, madame, quand vousn'avez à demander pardon à personne? dit André.Nous savons tout: le véritable coupable s'est dénoncélui-même. Mais rendez-moi cette justice qu'avantque j'eusse reçu la lettre de Michele, vous aviezdéjà la mienne.
Luisa sanglotait.
--Mon frère! murmura-t-elle.
--Merci! dit André. Mon père, bénissez votrefille.
Le vieillard s'approcha de Luisa et lui mit la mainsur la tête.
--Puisse Dieu te bénir comme je te bénis, monenfant, et écarter de ton front jusqu'à l'ombre dumalheur!
Luisa laissa tomber sa tête sur ses genoux et éclataen sanglots.
Le jeune Backer prit une longue boucle de sescheveux blonds flottants, la porta à ses lèvres etla baisa avidement.
--Citoyens! murmura l'officier.
--Nous voici, monsieur, dit André.
Au bruit des pas qui s'éloignaient, Luisa relevala tête, et, toujours à genoux, les bras tendus, lessuivit des yeux jusqu'à ce qu'ils eussent disparu àl'angle de l'arc de triomphe aragonais.
Si quelque chose pouvait ajouter à la tristesse decette marche funèbre, c'étaient la solitude et le silencedes rues que les condamnés traversaient, et pourtantces rues étaient les plus populeuses de Naples.
De temps en temps, cependant, au bruit des pasd'une troupe armée, une porte s'entre-bâillait, unefenêtre s'ouvrait, on voyait une tête craintive, defemme presque toujou