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Guillemets cloturant les pages 65 et 67 mais n'ayant pas de pendant ont été retirés.
La note 133 page 130 semblant avoir été mal placée et convenant mieux à la page 129, a été placée directement après la note 132.]
La face du monde était sombre à la findu XIIe siècle. L'ordre ancienétait en péril, et le nouveau n'avait pas commencé. Ce n'était plus lalutte matérielle du pape et de l'empereur, se chassant alternativementde Rome, comme au temps d'Henri IV et de Grégoire VII.Au XIe siècle,le mal était à la superficie, en 1200 au cœur. Un mal profond,terrible, travaillait le christianisme. Qu'il eût voulu revenir à laquerelle des investitures, et n'avoir à combattre que sur la questiondu bâton droit ou courbé! Alexandre III lui-même, le(p. 002) chef dela ligue lombarde, n'avait osé appuyer Thomas Becket; il avait défendules libertés italiennes, et trahi celles d'Angleterre. Ainsi l'Égliseallait s'isoler du grand mouvement du monde. Au lieu de le guider etle devancer, comme elle avait fait jusqu'alors, elle s'efforçait del'immobiliser, ce mouvement, d'arrêter le temps au passage, de fixerla terre qui tournait sous elle et qui l'emportait. Innocent III paruty réussir; Boniface VIII périt dans l'effort.
Moment solennel, et d'une tristesse infinie. L'espoir de la croisadeavait manqué au monde. L'autorité ne semblait plus inattaquable; elleavait promis, elle avait trompé. La liberté commençait à poindre, maissous vingt aspects fantastiques et choquants, confuse et convulsive,multiforme, difforme. La volonté humaine enfantait chaque jour, etreculait devant ses enfants. C'était comme dans les jours séculairesde la grande semaine de la création: la nature s'essayant, jetad'abord des produits bizarres, gigantesques, éphémères, monstrueuxavortons dont les restes inspirent l'horreur.
Une chose perçait dans cette mystérieuse anarchiedu XIIe siècle, quise produisait sous la main de l'Église irritée et tremblante, c'étaitun sentiment prodigieusement audacieux de la puissance morale et de lagrandeur de l'homme. Ce mot hardi des Pélagiens: Christ n'a rien eude plus que moi, je ne puis me diviniser par la vertu, il estreproduit au XIIesiècle sous forme barbare et mystique. L'hommedéclare que la fin est venue, qu'en lui-même est cette fin; il croit àsoi, et se sent Dieu; partout surgissent des messies. Et ce n'est pas(p. 003)seulement dans l'enceinte du christianisme, mais dans lemahométisme même, ennemi de l'incarnation, l'homme se divinise ets'adore. Déjà les Fatemites d'Égypte en ont donné l'exemple. Le chefdes Assassins déclare aussi qu'il est l'iman