Poèmes et Poésies
TRADUCTION PRÉCÉDÉE D'UNE ÉTUDE
PAR
PAUL GALLIMARD
... C'est une loi éternelle que celuiqui l'emporte en beauté doit l'emporteren puissance.
(Hypérion).
PARIS
MERCVRE DE FRANGE
XXVI, RUE DE CONDÉ, XXVI
MCMX
[Pg 5]Ceci n'est pas une Préface, ni même une Introduction,mais plutôt l'ouverture d'un vaste Poèmesymphonique, composé de nombreux morceauxdistincts les uns des autres, présentant toutefois unensemble très cohérent. Celui qui l'écrit n'a d'autresprétentions que de grouper les principales mélodiesde ce Poème, et de les coordonner de façon à endémontrer l'idée générale, à en prouver l'unité. Ila cherché à disparaître le plus possible, à rendreaussi ténus et aussi inapercevables que possible, lesliens qui rattachent entre eux ces leitmotiv, maisil n'a pas osé, et il s'en excuse, les supprimer complètement,craignant que, sans ces modulationstransitoires les changements de tons ne parussenttrop brusques[1]. Le thème principal, celui verslequel convergent tous les autres, c'est la personnalitédu Poète, ou plutôt sa sensibilité: car leurunion était tellement intime qu'elles ne faisaientqu'un tout harmonieux.
Or, cette sensibilité a peu varié: Keats a produit[Pg 6]sa première œuvre connue en 1813, l'Imitationde Spenser[2] et son dernier Sonnet[3] en 1820.Le proverbe latin est parfois véridique: les dieuxpaïens qu'il avait tant aimés, le lui rendirent et lerappelèrent auprès d'eux avec une hâte qui sembleplutôt la caractéristique du xixe siècle, dans lequelvécut leur chantre que l'apanage des époques reculéesoù ils régissaient l'univers. Entre 18 et25 ans, la qualité des sensations ne se modifieguère, à moins d'une maladie; et celle qui étreignitl'infortuné l'emporta si rapidement qu'elle lui laissaà peine le temps d'écrire quelques pièces, parmilesquelles trois ou quatre Sonnets, au plus, sontremarquables.
John Keats, né le 29 ou le 31 octobre 1795à Moorfields, Finsbury Pavement, au cœur deLondres, est mort le 23 février 1821 à Rome, Piazzadi Spagna. Aucun fait mémorable entre ces deuxdates! Aucun du moins qui aurait pu exercer uneinfluence quelconque sur son esprit ou changer lecours de ses idées!
On chercherait vainement à retrouver, chez sesparents, l'origine d'une disposition artistique: ilconnut à peine son père qui tenait une remise devoitures en location et mourut jeune; sa mère intelligenteet très ardente pour le plaisir, se remaria[Pg 7]presque aussitôt et mourut six ans après (1810).Jusque là il avait étudié à l'école d'Enfield; unefois orphelin, ses tuteurs le placèrent immédiatementen apprentissage chez un médecin. Quand onaura appris, en outre, qu'il eut deux frères...