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Paris,
Librairie Académique Didier Perrin et Cie,
Libraires-Éditeurs,
35, Quai des Grands-Augustins.
1903
Dans un château des environs de Viviers, propriété séculaire de sa famille,demeurait, en l'année 1827, une femme d'une sensibilité délicate et del'esprit le plus distingué, la marquise de V… Née en 1779, elle avaitépousé à quinze ans un gentilhomme du Languedoc, d'excellente maison, luiaussi; et elle avait eu de lui un fils, son unique enfant. Mais, en 1827,elle demeurait seule dans son château du Vivarais. Son mari, entré dansl'administration sous l'Empire, habitait Toulouse, où il remplissait lesfonctions d'inspecteur des douanes. Son fils, officier de chasseurs,avait sa garnison à l'autre bout du royaume. De telle sorte que, dans sasolitude, Mme de V… pouvait entretenir à loisir le culte qu'elle avaitvoué depuis sa jeunesse à l'auteur du Génie du Christianisme. Elle avaitété de celles que l'apparition de ce livre, jadis, avait affoléesd'enthousiasme[1]: toujours, depuis lors, elle continuait à être partagéeentre son désir de connaître Chateaubriand et la crainte d'importunercelui-ci ou de lui déplaire. Déjà en 1816, profitant d'un séjour à Paris,elle avait écrit à son grand homme; puis, au dernier moment, elle avaitimaginé un prétexte pour se dispenser de le rencontrer. Onze ans plustard, à propos de quelques mots lus dans le Journal des Débats sur uneindisposition de Chateaubriand, elle s'enhardit à lui écrire de nouveau;et, cette fois, sa lettre fut le point de départ d'une correspondance quidevait durer sans interruption près de deux ans, jusqu'au mois de juin1829.
[Note 1: «Je serais embarrassé de raconter avec une modestie convenablecomment on se disputait un mot de ma main, comment on ramassait uneenveloppe écrite par moi, et comment, avec rougeur, on la cachait, enbaissant la tête, sous le voile tombant d'une longue chevelure.»(Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe.)]
Au moment où s'ouvrit cette correspondance, Chateaubriand traversait unedes périodes les plus tristes et les plus inquiètes de sa vie. Il avaitperdu, peu de mois auparavant, sa vieille amie Mme de Custine. Mme deChateaubriand, très souffrante elle-même, lui faisait sentir plus vivementque jamais l'incompatibilité naturelle de leurs caractères. Ruiné,dépossédé de toute influence politique, réduit à une opposition hargneuseet rebutante, toujours plus ennuyé des autres et de lui-même à mesurequ'il découvrait davantage son inutilité, René se trouvait dans unedisposition morale qui, sans doute, lui rendit plus sensible l'hommageimprévu de la marquise de V… Le fait est qu'il y répondit aussitôt avecune passion extraordinaire, se livrant comme il se livrait à peine à sesplus intimes confidents. C'est ainsi que s'engagea, entre lui et son«inconnue», un véritable petit roman, dont aucun de ses biographes neparaît avoir soupçonné l'existence, et que, grâce à une pieuse précautionde Mme de V…[2], nous pouvons aujourd'hui mettre tout entier sous lesyeux du public.
[Note 2: «Quand mes lettres sont faites, je les copie telles qu'elles sont,et