JEANNE SCHULTZ
Ouvrage couronné par l’Académie française
CENT NEUVIÈME ÉDITION
PARIS
CALMANN-LÉVY, ÉDITEURS
3, RUE AUBER, 3
CALMANN-LÉVY, ÉDITEURS
DU MÊME AUTEUR
Format grand in-18.
CE QU’ELLES PEUVENT | 1 vol. |
LES FIANÇAILLES DE GABRIELLE | 1 — |
JEAN DE KERDREN | 1 — |
LA MAIN DE SAINTE-MODESTINE | 1 — |
Droits de reproduction et de traduction réservés pour tous les pays,y compris la Hollande.
E. GREVIN — IMPRIMERIE DE LAGNY
LA
NEUVAINE DE COLETTE
« De mourir de désespoir et d’ennui, préservez-moi,Seigneur ! et ne m’oubliez pasdans cette neige qui monte tous les jours unpeu plus autour de moi ! »
J’ai tant formulé cette oraison jaculatoiresans que jamais nul y réponde que, deguerre lasse, je viens l’écrire. Les chosesécrites ont plus de poids, me semble-t-il ;puis elles durent plus à faire surtout ; et, parla même raison qui m’a donné l’habitude deparler tout haut au lieu de penser, parcequ’un mot à prononcer et à faire résonnercontre mes grandes boiseries me prenaitplus de temps, je me mets à écrire aujourd’hui…Que trouverai-je pour demain, hélas !
Mon bagage n’est point élégant, même passuffisant, et il n’y a pas la plus petite serrureà secret pour fermer mon cahier ! L’encreétait séchée dans la bouteille que j’ai trouvée,toutes mes plumes sont perdues, et je n’aijamais eu une feuille de papier ici. Pourquoien aurais-je puisque je n’écris à personne ?
Descendre au village était impossible. Il ya six pieds de neige par les routes, sans parlerdes combes et des trous, où le vent entasseles flocons à des hauteurs où s’engloutiraitune diligence de l’essieu jusqu’à la bâche…J’avais bien lu dans plusieurs livres commentles prisonniers se piquent une veine pourécrire avec leur sang sur un mouchoir depoche ; mais je n’y crois plus, car le lingeboit tout et ce n’est pas lisible. Je peux ledire, car je l’ai essayé !
Avec un peu d’eau, d’ailleurs, mon encreest revenue ; j’ai fait emprunter deux grandesplumes à la queue d’une oie, qui s’est laisséfaire en toute patience, la pauvre bête, et,à force de bouleverser les rayons et lesarmoires, j’ai trouvé ce gros cahier de parchemin,jaune comme du safran et épaiscomme du carton, dont on n’avait employépar bonheur qu’un seul côté des pages.L’autre me reste, et j’ai, de plus, l’avantagede lire en passant tout ce qu’il y a déjàd’écrit.
Ce sont des querelles et des procès intentéspar un sieur Jean Nicolas à une dame deHaut-Pignon, à propos de garennes dont leslapins dévastaient ses trèfles, et de limitesdont les variations lésaient ses champs…
Mon Dieu ! donnez-moi un voisin JeanNicolas querelleur et disputeur, et des frontièresqui prêtent à contestations, pour occuperma solitude !
Y a-t-il beaucoup de gens, je me le demande,qui connaissent exactement la significationde ce mot : solitude, et qui pensentquelquefois à tout ce qu’il veut dire ?
« Solitude, explique le dictionnaire, solitude,état d’une personne qui est seule. » Etplus haut, au mot : seul, il ajoute judicieusementpour compléter ses renseignements :« Seul, qui