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Pendant près d'un an, M. Poe ne se manifesta que rarement au public;mais il était peut-être plus actif qu'il n'avait été en aucun temps;et, au commencement de 1848, il fit annoncer son intention de donnerquelques lectures, dans le but de gagner une somme d'argentsuffisante pour fonder ce fameux magazine mensuel qu'il rêvait depuissi longtemps. Sa première lecture, qui fut aussi la seule qu'ildonna à cette époque, eut lieu à la Society Library, à New-York, le9 février, et avait pour sujet la Cosmogonie Universelle; elle futécoutée par un auditoire éminemment intellectuel, et occupa environdeux heures et demie. C'était ce qu'il publia plus tard sous ce titre:Eureka, poëme en prose.
Il avait employé dans la composition de cet ouvrage ses plus subtileset ses plus hautes facultés, dans leur plus parfait développement.Commençant par nier que les arcanes de l'univers puissent être exploréspar la pure induction, mais armant son imagination des divers résultatsde la science, il entra avec une hardiesse imperturbée,—quoique sansaucun autre guide que l'instinct divin, que ce sens de beauté où notregrand Edwards prétend retrouver l'épanouissement de toute vérité,—dansl'océan de la spéculation, et il y bâtit, avec les lois concordantes etleurs phénomènes, sa théorie de la Nature, comme sous l'influence d'uneinspiration scientifique. Je n'entreprendrai pas la[p. 2] tâche difficilede condenser ici ses propositions. «La Loi,—dit-il,—que nous nommonsGravitation, existe en raison de ce que la Matière a été, à sonorigine, irradiée atomiquement, dans une sphère limitée d'espace,d'une Particule Propre, unique, individuelle, inconditionnelle,indépendante et absolue, selon le seul mode qui pouvait satisfaire à lafois aux deux conditions d'irradiation et de distribution généralementégales à travers la sphère,—c'est-à-dire par une force variant enproportion directe des carrés des distances comprises entre chacun desatomes irradiés et le centre spécial d'Irradiation.»
Poe était entièrement persuadé qu'il avait découvert le grand secret;que les propositions d'Eureka étaient vraies; il avait coutumede parler de ce sujet avec un enthousiasme sublime et électrisant,que n'ont pu oublier ceux qui étaient liés avec lui à l'époque desa publication. Il sentait qu'un auteur, connu seulement par sesaventures dans la littérature légère, jetant le gant aux docteurs dela science, ne pouvait s'attendre à une complète équité, et [qu'il]n'avait d'espoir que dans des discussions présidées par la sagesseet la bonne foi. Comme il me rencontrait, il me dit: «Avez-vous luEureka?» Je lui répondis: «Pas encore; tout à l'heure je jetaisun coup d'œil sur le compte rendu qu'en a fait Willis, qui penseque l'ouvrage ne contient pas plus de réalité que d'imagination,et je vois avec peine,—si la chose est vraie,—qu'il insinuequ'Eureka ressemble par le ton à ce ramas de prétendues et surannéeshypothèses, à l'adresse des rêveurs novices, qui s'appelle lesVestiges de la Création; et