trenarzh-CNnlitjarufafr

REMY DE GOURMONT

La petite Ville

Paysages

PARIS
MERCVRE DE FRANCE

MCMXIII

Tiré à petit nombre, dont cent vingt exemplaires sont mis en vente.

Ex. No 130

LA PETITE VILLE

La petite ville est agréable à contempler.On la voit de partout et c'esttoujours la même île de pierres accumuléesémergeant d'une mer de verdure.D'entre les pierres il surgit quelques rocssveltes et dentelés, ce sont les flèches deses églises, jadis phares des âmes. Detoutes ces pierres, à des heures, tombe lavoix des cloches, l'air limpide se résouten musique, comme, l'hiver, l'air gris sefond en pluie. Les ondes se sont dispersées;rassuré, le silence recommence sa promenadeéternelle le long des rues mortes.

LES COQUELICOTS

Depuis Paris jusqu'à la mer, aufond de la Normandie, le fleuverouge des coquelicots vous accompagne.Il déborde çà et là et s'étendcomme un lac sur les champs de blé.On se demande si les cultivateursne vont pas récolter autant de gerbesde coquelicots que de gerbes de blé.Au moins ce sera très mêlé. En certainschamps, c'est même le rouge quidomine et l'emporte sur l'or. C'est àcroire que la fleurette a été semée intentionnellementavec le grain. Non, carje ne pense pas que le charmant mélangede la couleur des blés mûrissantset du coquelicot ait beaucoup de charmepour les paysans. Ils ne voient pasles choses comme nous, qui passons,et je crains que, pour eux, la fleur quiamuse notre œil ne soit que de la mauvaiseherbe. Hélas! dans la nature,presque tout ce qui est joli, éclatantou doux, n'est que de la mauvaiseherbe, et si rien n'est plus utile, rienn'est plus monotone et plus terne qu'unchamp de betteraves. Nous n'avonsguère de ces cultures du Midi ou del'Orient aux belles couleurs et mêmedans le Midi les champs orgueilleuxde garance ont disparu. Autrefois, laNormandie ne se fleurissait pas seulementdes pavots, mais du lin bleu deciel et du sarrasin tout blanc, cher auxabeilles. Le lin a presque disparu. C'estdommage pour l'œil; car c'était unefête que ces champs d'azur, et le sarrasindevient plus rare. Il reste en étéle coquelicot, et au printemps le bleuet,plus timide et assez vite étouffé par lavégétation des céréales. Aussi je souhaiteque la petite graine noire, quiressemble à des grains de poudre, continuede se mêler follement au blé et àprospérer. Au fond cela ne lui fait pasgrand mal et c'est une parure.

LA GARE

Je ne sais quel était autrefois lecentre de la petite ville, le centresocial, ni s'il y en avait un; aujourd'hui,c'est la gare, bien qu'elle soitassez loin et que cela soit une corvéed'en remonter vers la haute ville. Ony va en promenade, on s'y rencontre,les diverses classes s'y mêlent, c'est unendroit neutre et presque le seul lieude divertissement. C'est par là qu'arriventles journaux et le peu de littératuredont la ville a besoin, et ni lesfeuilles ni les livres ne remontent dansl'ancienne petite cité. On va les chercherà la gare. La bibliothèque de lagare a tué les autres libraires. Il y enavait trois autrefois: une librairie générale,où on trouvait toutes les nouveautés,avec un fonds assez solide declassiques anciens et modernes; unelibrairie pieuse où se débitait la littératureédifiante ou modérée; enfin unebouquinerie, où je me souviens d'avoiracheté mes premiers livres curieux.Seule, la librairie pieuse subsiste,mais on y vend peut-être plus de chapeletset d'eucologes que d'ouvragesacadémiques. La petite ville est dansune profonde décadence intellectuelle.On s'y intéresse de moins en moinsaux que

...

BU KİTABI OKUMAK İÇİN ÜYE OLUN VEYA GİRİŞ YAPIN!


Sitemize Üyelik ÜCRETSİZDİR!