HENRI BACHELIN
Éditions de l’Effort Libre
POITIERS & PARIS
MCMXIII
IL A ÉTÉ FAIT DE CET OUVRAGE
un tirage sur papier de Hollande Van Gelder
de vingt exemplaires numérotés à la main
et du prix de cinq francs
DU MÊME AUTEUR :
POUR PARAITRE :
à Romain Rolland
qui aime « respirer le souffle des héros »,
ces âmes de résignés,
qui sont, à leur manière, des héros.
H. B.
Si de toi, jadis, il n’y a pas longtemps encore, j’ai pumédire, que je le regrette ! Mais je sais que tu me le pardonnes,toi qui jamais n’as dit « un mot plus haut quel’autre, » toi, le doux, le pacifique qui te réservais tesdernières années de souffrances muettes, et ta dernièreheure avec ton cri :
— Mon Dieu, je vous donne ma vie pour qu’Henridevienne bon !
Tu me posais des questions, auxquelles je ne répondaisque par monosyllabes, sur ma vie, mes occupations,mes repas. Tu n’as jamais su combien j’étais ému,à voir les efforts que tu faisais pour me montrer que tut’intéressais à mon travail. Mais vivre à Paris nous rendautres que nous ne sommes : nous en venons avec ce quenous croyons être des idées sur notre supériorité intellectuelleet morale. C’était plus fort que moi : je ne pouvaiste donner ces détails qui t’auraient fait si grandplaisir. Et tu es parti — qu’il en est souvent ainsi ! — sansme bien connaître, sans savoir ce qu’il y avait aufond de moi-même, puisque tu as demandé que jedevienne bon. Mais ce n’est pas du tout ta faute.
Tu te tenais au coin du feu, dans un de ces vieux fauteuilsen osier que ne vendent pas cher ces marchandsambulants que l’on appelle chez nous tantôt « bohémiens »tantôt « pacants ». Tu ne les aimais pas, ceshommes qui ne se fatiguent guère, toi l’acharné au rudetravail, ces errants qui vont d’un bout à l’autre dumonde, toi qui, de trente années, ne sortis point de cebourg de trois mille âmes, où tu es encore maintenant.Mais tu ne les injuriais, ne les repoussais point. Tu neme grondais pas lorsque tu apprenais qu’à une femmequi paraissait malheureuse j’avais donné deux sous.
Des jeunes gens traversent les salons, habiles à ne pasglisser sur le parquet luisant, précédés du renom detoute une race. D’avoir souvent regardé les portraits deleurs aïeux, peints à l’huile et accrochés dans les galeriesdes châteaux, ils auront toujours sur le front etdans les yeux comme le rayonnement d’une gloireimpersonnelle. D’autres ont eu pour pères ces héros ausourire si doux, qui n’étaient suivis que d’un seulhouzard. Mais c’est déjà beaucoup, de n’être, à la distanceréglementaire, suivi que d’un serviteur. Tun’étais pas accompagné, toi, respectueusement : tu fusde ceux qui suivent.
Que l’on ne s’y méprenne pas ! Ce n’est point par uneespèce de forfanterie à rebours que je me réclame de toi.Les pauvres ne sont pas tout, et tu serais surpris, lepremier, que je songe à m’en glorifier. Je d